La programmation sur la RTS1 depuis aujourd'hui du docu "La Fraternité" m'a rappelé un micro texte que j'avais pondu à l'époque et que j'avais gardé (prudemment 😅 ) au fond de mon Mac. Le voici. Peut-être vous amusera-t-il.
OTHMAR
Ferdinand fuyait depuis des jours. L'étau de ses poursuivants se resserrait. Il jeta dans une boîte aux lettres une disquette rapidement copiée depuis un portable.
Plusieurs semaines plus tard, un matin froid d'automne dans une forêt du Vercors.
Un jeune inspecteur de police en civil sort d'une camionnette.
– Parmi les victimes, il y a un dénommé Ferdinand Solal, journaliste spécialisé dans les sectes, commissaire. Il est atrocement brûlé mais la dentition est intacte. Les gars du labo n'ont pas eu trop de peine à l'identifier. Il semble qu'il ait été torturé. Il y a comme des marques de petites brûlures, plus fortes à de multiples endroits. Comme si on l'avait brûlé avec des cigarettes. Et puis, ses parties génitales sont introuvables ...
– La routine, pensait Bonnot. Qui lui donnait toujours envie de vomir, même après tant d'années. Et il y avait tous ces corps carbonisés d'enfants dont les dents à nu semblaient ricaner.
– N'est-ce pas ce Solal, disparu depuis des semaines et qui avait fait parvenir une disquette avec un étrange récit à la rédaction de l'Hebdo, interroge Bonnot toujours au courant ?
– Oui précisément commissaire. Cela indiquerait qu'il n'y a pas seulement eu des volontaires ou des adeptes plus ou moins entraînés mais, hormis les enfants, au moins un assassinat de quelqu'un qui n'a rien à voir là-dedans.
– On a de quoi visionner cette disquette ici ?
– Ça devrait marcher. Suffit de brancher le portable sur un Natel et de demander aux Suisses de nous l'envoyer par courrier électronique.
– Ça sera long ?
– Non, pas plus de deux ou trois minutes.
– OK, alors allons-y !
Cinq minutes plus tard, Bonnot, qui avait entre-temps téléphoné à sa femme pour lui dire qu'il ne pourrait pas rentrer avant plusieurs jours, était plongé dans la lecture de la disquette de Solal. Légèrement à l'écart du théâtre macabre où une fourmilière de spécialistes s’affairait à présent, autour des corps carbonisés disposés en étoile. Il avait posé le portable sur la branche basse d'un frêne et lisait debout, engoncé dans sa canadienne. Il y avait deux fichiers écrits en Word, l'un s'appelait "message" et l'autre "nelle_18". Au hasard, il avait choisi « message ».
<< 28 novembre 1995 - Aussi étrange que ça puisse paraître, je suis poursuivi par des gens qui veulent me tuer ou me saisir vivant, je ne sais pas. Je n'ai pas d'entraînement pour échapper à cette situation et je crains le pire. Il semble qu'ils ont des moyens énormes. Je ne parviens pas à m'approcher en sécurité d'un poste de police. Et que feraient les flics si j'y parvenais ? Jusqu'à ce qu'ils me prennent au sérieux ...bref, j'essaie de disparaître sans laisser de traces. Vous comprendrez que je ne vous dise pas quels sont mes plans. C'est moi qui reprendrai contact. J'ai du cash, que j'ai pu prélever de justesse à un bancomat. Si je ne m'en tire pas, ou plutôt pour que je m'en tire, utilisez cette disquette avec la police judiciaire pour tenter de les coincer avant...
Je vous en prie croyez-moi !
Ce qui suit, je l'ai écrit, il y a quelques jours.
Je n'aurais jamais dû envoyer cette nouvelle à mon éditeur. Là-bas, elle a dû tomber sur l'un des leurs. Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Bon Dieu, dans quelle merde me suis-je fourré !
J'ai enquêté des années sur cette secte, j'ai presque grandi avec elle. Tant qu'elle n'était qu'une secte parmi d'autres, je n'étais qu'un journaliste parmi d'autres. Mais depuis qu'ils se sont mis à se faire sauter le caisson en groupe ! Avec le troisième millénaire qui approche, il y a de plus en plus de comportements de tapés à couvrir. Je dois être dans le bon créneau économique.
Après, il n'y avait plus rien. Bonnot ouvrit le deuxième fichier :
<< Nouvelle 18
Leur espèce était née, avait grandi sur cette planète. Le ciel était lumineux, l'air léger.
Leur évolution était aujourd'hui telle qu'ils n'avaient plus besoin ni de tuer ni de détruire pour survivre. La phase technologique de leur évolution appartenait à un lointain passé.
Leur cerveau jouait un rôle prépondérant à tel point qu'ils se demandaient si, un jour, ils ne finiraient pas par se dématérialiser.
- Notre cerveau, pensait Othmar en se rendant à se séminaire sur la télétransportation, n'est pourtant pas bien grand. Bien plus petit en fait que ceux retrouvés sur des squelettes anciens. Il s'était miniaturisé au fil de l'augmentation de sa puissance.
- C'est cette évolution extraordinaire qui a permis à nos corps de rester harmonieux et élancés. Est-ce que notre reproduction serait toujours sexuée si cela n'avait pas été le cas, s'interrogeait-il?
La vue des autres participants au séminaire interrompit le flot de ses pensées.
Le workshop réunissait une centaine de personnes, les plus avancées du moment en mentalique. Son but consistait à explorer les possibilités concrètes de transport physique à des distances subluminiques.
– Bonjour Sigit.
– Salut Othmar.
Il connaissait aussi Folio et Veina.
– Ça va être dangereux ce truc, demanda-t-elle inquiète ?
– Tu n'es pas volontaire, demanda Othmar ?
– Si, nous le sommes tous, non ? Mais ça n'enlève rien au danger ! Nous ne contrôlons encore qu'imparfaitement notre cerveau sur ce point. Supposons qu'au lieu de nous télétransporter d'un point à l'autre de la planète, comme prévu, nous soyons projetés sur un autre astre ou dans le passé ?
– Oui, encore est-il heureux que la gravitation impose l'atterrissage sur un corps solide.
– Mais pas nécessairement hospitalier !
– Écoutez, inutile de fantasmer, vous savez, comme moi, que la probabilité d'erreur est quasi nulle, au stade où en sont nos recherches. Alors, un peu de confiance que diable, intervint Othmar !
Quelques heures plus tard, c'est la probabilité quasi nulle qui s'était concrétisée. La crème des chercheurs en mentalique s'était soudain volatilisée et personne ne savait où ils pouvaient bien être.
Eux, ils le savaient. Ils étaient saufs, mais perdus sur un astre étrange, et complètement séparés les uns des autres. Dans leur malheur, ils avaient une chance inouïe : l'air y était respirable, tout comme la gravité y était acceptable. Mais étaient-ils restés dans leur temps ? Étaient-ils dans le présent, le passé ou dans le futur ? Étaient-ils sur leur planète ? Autant de questions que se posait chacun.
Othmar, après quelques tâtonnements malencontreux, avait pris l'apparence de l'espèce dominante de ce monde. Elle était dans sa phase de développement technologique. Ceci fait, ressentant un minimum de sécurité, il se prépara à explorer son environnement. Il comptait réunir un maximum de renseignements, pour comprendre où et quand il était. Il ne savait pas ce qu'il était advenu des autres, mais il supposait que, s'ils étaient vivants et sur cet astre, ils auraient fait comme lui.
Il tenta de les joindre. Impossible. Les ondes mentales denses et désordonnées des habitants, tout comme celles de leurs multiples appareils l'en empêchaient.
Othmar eut alors l'idée qui leur permettrait à tous de se repérer discrètement et de se réunir. Il fonda un ordre religieux comme il y en avait tant sur ce monde. Il utilisa quelques symboles de sa propre culture et put ainsi, facilement et graduellement, attirer l'attention des autres. À l'exception d'un seul, tous se manifestèrent. Ironie des choses, d'autres adeptes, locaux ceux-là, avaient également adhéré en foule, ce qui ne manquait pas de poser quelques problèmes.
Assez rapidement, l'étude des cartes célestes leur prouva qu'ils n'étaient pas très loin de chez eux. Et surtout, ils étaient restés dans leur époque.
Il leur fallut beaucoup plus de temps pour établir les équations qui leur permettraient de rentrer. Un jour, ce fut réalisé.
Il ne leur restait plus alors qu'à se réunir par petits groupes et à partir. Ainsi, ils concentreraient suffisamment de force mentale.
Il fallait se montrer de plus en plus secrets et prudents car les indigènes se montraient capables d'accès d'une violence inouïe. À cet égard, les adeptes autochtones à l'Ordre posaient un problème particulièrement aigu. Ils devenaient de plus en plus difficiles à contrôler et à tenir à l'écart.
Le temps pressait donc.
Le jour arriva enfin où le premier groupe tenta sa chance. Les autres ne sauraient pas s'ils avaient réussi. Ils avaient préalablement décidé de se scinder en plusieurs équipes afin d’augmenter les chances qu'au moins quelques-uns d'entre eux puissent informer les leurs.
Le jour dit, chacun répondit donc à l'appel qui, pour des raisons de sécurité, n'était lancé qu'au dernier moment, laissant là ses occupations quotidiennes. De trois endroits différents, trois groupes partirent, laissant à l'usage des hommes une mise en scène grossière. Mise en scène d'ailleurs dramatiquement renforcée par le fait que certains membres terriens de l'ordre avaient absolument voulu partir, eux aussi. En fait, ils s’étaient atrocement suicidés, après avoir massacré leurs propres enfants. Othmar, Bigit, Veina et quelques autres restaient.
Bientôt, ils réuniraient le dernier groupe et s'en iraient à leur tour.
Mais c'était devenu très dangereux car la police était désormais sur leurs traces et savait qu'ils feraient tout pour retourner sur Sirius.
FIN
– Quel galimatias ! marmonna Bonnot qui se prenait inconsciemment pour Maigret. Et en plus c'est mal écrit. Va falloir enquêter serré sur l'éditeur. Au fond, c'est peut-être lui qui a envoyé les tueurs ! C'était quand même la 18ème nouvelle que Solal lui envoyait. Il a pu craquer...
– Valette, appela-t-il.
Le jeune inspecteur se rapprocha.
– Pour Solal, l'enquête commence et je ne veux pas entendre parler d'extra-terrestres compris !
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